Le retour en grâce des jeunes diplômés
Des ingénieurs de nouveau courtisés
Les offres de stages et d’emploi affluent de nouveau pour les jeunes bac + 5. Un retour en grâce
qui échappe à la surenchère salariale. Jusqu’à quand ?
« Nous recommençons à draguer les étudiants à la sortie des écoles ! », s’exclamait un patron
régional de SSII le mois dernier. « J’embauche à tour de bras » , répond en écho un autre
dirigeant de société de services. Enfin ! Le marché de l’emploi reprend pour les jeunes diplômés
de niveau bac + 5. Une bonne nouvelle après trois années de disette. Durant la crise, les jeunes
diplômés, adulés durant la parenthèse de la bulle internet, se sont brutalement retrouvés sur la
touche. « Pas immédiatement opérationnels », leur reprochait-on du jour au lendemain.
En peu de temps, la situation vient à nouveau de se retourner. A leur avantage, cette fois. Un
mois en moyenne leur suffit pour trouver un emploi. Qui s’en plaindrait ? Certes, ni les jeunes
issus de la promotion 2004 : angoissés, ils voient de nombreux diplômés de l’année précédente
encore, aujourd’hui, sans poste. Ni les dirigeants de ces cursus supérieurs, qui sont tout à coup
en proie à des avalanches d’offres d’emploi et de stages.
Rebond de l’embauche et baisse du nombre de CDD
En tout cas, leur constat est unanime : « C’est la première fois depuis bien longtemps que j’ai
autant d’offres d’embauche ! Quant aux propositions de stages, nous en avons reçu bien davantage
que nous n’avons d’étudiants », se félicite Michel Louvel, dirigeant de l’ENSI de Caen. Même son
de cloche à l’ISEP. « Ce n’est pas l’euphorie d’avant la crise. Mais nous recevons des offres de
stages en pagaille. Au point que je dois procéder à un premier tri », se réjouit Yves Serizier,
responsable des relations extérieures. De son côté, l’ISEN a reçu plus de 3800 offres d’emploi
en 2004 ! Soit plus du double de l’année précédente – le meilleur score depuis trois ans.
Toutefois, certains regrettent que les offres ne soient pas en adéquation avec le calendrier
scolaire.
Et pour les sceptiques qui douteraient de la réalité de ce rebond de l’embauche de jeunes
diplômés, les statistiques fournies par une trentaine d’établissements dans le cadre de ce
dossier sont sans équivoque. A l’ISEP, 73 % des étudiants de la promotion 2004 ont trouvé un
emploi en moins de deux mois. La totalité des étudiants de l’Institut des sciences et techniques
des Yvelines est soit en poste, soit en poursuite d’études. A l’EISTI, non seulement tous les
étudiants de la promotion 2004 sont placés, mais en outre, 80 % d’entre eux ont obtenu leur CDI
durant leur stage de troisième année. A l’UTT, 89 % sont salariés, et 11 % en recherche d’emploi.
La plupart ont trouvé un travail en moins de deux mois.
Signe des temps, la part des CDD a très nettement reculé depuis l’an dernier. A l’ESEO, grande
école basée à Angers, elle est passée de 30 % en 2003 à 13 % en 2004. Certes, il reste toujours
une frange de demandeurs d’emploi, six mois après l’obtention de leur diplôme. Mais, précise-t-on
à l’ESEO, un quart de ces jeunes ont décliné au moins une proposition de poste. De son côté,
l’ISTY a constaté une diminution du taux de pénétration de ses élèves à l’issue du stage.
Explication : l’an passé, nombre d’entre eux ont effectué des stages dans de grandes entreprises,
sans embauche à la clé. Pour les écoles, les stages de pré-embauche sont bien repartis, mais les
élèves préfèrent se donner le temps de trouver un meilleur poste.
Élèves et entreprises négocient à armes égales
Les pratiques des belles années, du type surenchère salariale, sont-elles de retour ? Non, pas
d’euphorie, répondent en choeur les directeurs d’établissement. La conjoncture favorise plutôt un
retour à un certain équilibre dans les relations entre les étudiants et les entreprises. Pour
Jean-Guy Sayous, directeur adjoint de l’ISTY, « les élèves et les entreprises négocient vraiment
à armes égales. C’est bon pour tout le monde. Pour autant, je ne crois plus du tout à la montée
des enchères. »
Les jeunes diplômés prennent donc le temps de réfléchir. Voire de rebondir. Selon Laurent
Trébulle, directeur des relations entreprise de l’EPITA, « les étudiants recommencent à avoir le
choix. On a même vu des diplômés repartir ailleurs quelques semaines seulement après leur
embauche ». Une bouffée d’oxygène pour des jeunes diplômés contraints, les années passées, à
accepter un poste à n’importe quelles conditions !
Reste que la reprise risque, une fois encore, de provoquer un sureffectif en cas de crise. Déjà
certains commencent à s’inquiéter du raz de marée. Par exemple, l’ENSI de Caen : « La moitié de
nos étudiants sont pour ainsi dire casés avant l’obtention de leur diplôme, avance Michel Louvel.
Non seulement les règles du jeu sont faussées, mais, surtout, ça leur monte à la tête ! »
Cependant, ces contrats, signés avant la fin des études, ont un avantage indéniable. En plus de
rassurer l’étudiant, ils l’aident à prendre des cours à la carte, en fonction des besoins.
SSII et cabinets de conseil en première ligne
Comme toujours dans les sorties de crise, ces offres proviennent en majorité des SSII et des
cabinets de conseil. Entre le mouvement massif d’externalisation des systèmes d’information chez
les grands comptes et la tendance à confier aux prestataires le soin de recruter à leur place,
les SSII et les cabinets de conseil se retrouvent, comme toujours, en première ligne. Et ce sont
encore les mêmes noms qui s’égrènent. Capgemini, Atos, Unilog, GFI, Altran, Transiciel Sogeti…
Sans oublier l’incontournable Sopra. La SSII – l’une des dernières à procéder encore à l’édition
de logiciels – se voit ainsi parfois qualifiée de « dévoreuse de jeunes diplômés ». Pour la
plupart, ceux-ci seront affectés à la R&D de ses nouveaux produits.
Certes, les SSII sont toujours considérées comme une école du terrain, qui aide les jeunes à
acquérir plusieurs expériences et à côtoyer des environnements techniques et humains diversifiés.
Il s’agit, en quelque sorte, de poursuivre l’apprentissage par d’autres voies. Pour autant, les
sociétés de services traînent une mauvaise réputation, tant auprès des étudiants que de leurs
professeurs. A l’EPITA, seuls 15 % d’entre eux s’y projettent à cinq ans après leurs études,
alors qu’ils sont environ la moitié à les intégrer à l’obtention de leur diplôme. « Quant à
certaines SSII, je conseille aux étudiants d’attendre d’avoir de l’expérience avant d’y entrer.
Sinon, c’est le massacre ! », indique un responsable d’école.
Ce faible attrait des SSII profite aux entreprises utilisatrices, longtemps restées en retrait du
marché. Les années précédentes, les DSI proposaient bien des stages. Mais, à l’issue de ceux-ci,
elles ne recrutaient pas. Elles préféraient s’appuyer sur les ressources des prestataires. Cette
année, les embauches directes reprennent. En particulier à la Société Générale, chez Gaz de
France ou chez France Télécom. L’ENSIMAG enregistre ainsi 25 % des recrutements de ses élèves
effectués par le secteur de la finance, signe de sa vitalité. Par ailleurs, l’automobile et
l’aéronautique plébiscitent aussi les diplômés à la double compétence électronique et informatique, notamment en ce qui concerne les systèmes embarqués.
Un tiers des recrutements provient des télécoms
Plus marquant encore est le réveil tant attendu du secteur des télécoms. « Depuis une petite
année, les entreprises du secteur télécoms, avec lesquelles nous n’avions quasiment plus de
contact, reviennent vers nous », indique Yves Serizier, de l’ISEP. Ces entreprises ont choisi un
certain nombre d’écoles et préparent leurs recrutements. Bernard Burtschy, représentant du
Groupement des écoles télécoms (GET), le confirme : « Le secteur informatique et télécoms avait
délaissé nos étudiants au profit de la banque et de l’assurance. Aujourd’hui, il revient en force
et représente un tiers des recrutements. » De son côté, Sup Télécom Bretagne (ENSTB) considère
que le retour des embauches chez les constructeurs télécoms est très significatif, et qu’il
augure d’une reprise globale du marché dans les prochains mois. Comme pour les SSII, ce sont les
mêmes acteurs qui, après avoir boudé les jeunes diplômés pendant trois ans, reviennent massivement
les courtiser.
En revanche, durant ces temps difficiles, les fonctions proposées ont globalement évolué à la
hausse. En effet, on ne parle plus de programmeurs ou de développeurs. La majorité écrasante des
postes proposés s’intitulent désormais ingénieurs d’études et consultants juniors. En cause, bien
sûr, les besoins des prestataires – ils ont nettement évolué avec le très fort développement des
forfaits depuis la crise. Mais également l’élévation générale du niveau d’études qui permet aux
entreprises de confier des missions plus complexes aux jeunes ingénieurs. Double compétence,
formations intensives au management… Les cursus sont désormais beaucoup plus musclés.
Sans oublier l’importance donnée à l’immersion en entreprise. « Les élèves qui ont fait une
année de césure sont embauchés bien plus rapidement que les autres », assure l’ENSTB. Du coup,
l’an prochain, près de la moitié de la promotion prévoit d’effectuer cette coupure. Alternance,
stage, année de césure, voire apprentissage… La part pratique des cursus constitue plus que
jamais le meilleur sésame de l’emploi.
La poursuite des études en baisse
Cependant, la vie professionnelle ne concerne pas l’intégralité des étudiants dotés de diplômes.
Une frange d’entre eux a choisi de poursuivre ses études. Selon les établissements, leur nombre
varie pour, en général, se situer aux alentours de 15 %. Un chiffre en baisse quasiment partout.
Témoin l’ENSIMAG, qui mentionne une réduction drastique entre 2003, où 24 % des étudiants
décidaient de poursuivre leurs études au-delà du diplôme d’ingénieur, et 2004, où ils n’étaient
plus que 14 %. Cette année, ils seraient moins de 10 % à envisager cette issue. « Autant le
chiffre était élevé en 2003, autant les prévisions de 2005 sont préoccupantes. Or, nous avons
besoin de bons éléments pour préparer la relève des universitaires qui vont prendre leur retraite.
Il faut voir là une influence directe de la mauvaise image de la recherche, consécutive aux
manifestations », commente l’école dans son étude annuelle.
Dans ce domaine, les situations et les avis divergent. « Dans les faits, nous sommes revenus à
une situation optimale pour les étudiants. Mais pas dans leur esprit. Ils sont encore prudents,
et préfèrent poursuivre leurs études, analyse Bernard Burtschy, du GET. Mais c’est aussi l’attrait
de la recherche et développement qui joue. Il est vrai qu’en matière de R&D, on était en
sous-investissement depuis quelques années. Nous assistons donc forcément à une reprise
technique.»
Mais attention, prévient Jean-Guy Sayous, directeur adjoint de l’ISTY, la poursuite des études
n’est pas forcément une bonne affaire. En tout cas, tout dépend de la façon dont elle est
conduite. Car, explique-t-il, « la montée de l’offshore met en péril certains savoir-faire en
France. Les développeurs purs, en particulier, ont du souci à se faire. D’autant plus qu’ils
seront très diplômés, et donc chers. » A bon entendeur…
Pour résumer
Les recruteurs apprécient :
– Les doubles cursus (une formation technique associée à une formation fonctionnelle ou en
management, facilités par les enseignements à la carte).
– Les stages effectués dans le même secteur que celui du recruteur.
– Les formations par apprentissage, qui dotent l’étudiant d’une expérience professionnelle de deux
à trois ans dès sa sortie d’école.
– Les étudiants conscients de la culture et du fonctionnement des entreprises.
– L’année de césure.
– Une expérience à l’étranger.
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Sources
– Article issu de la revue 01 Informatique par Xavier Biseul, Anne-Françoise Marès et Corinne Zerbib, le 29/06/2005
N’hésitez pas à faire profiter de vos lectures ou de vos remarques en nous écrivant à l’adresse
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